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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

L’enfant a dit seulement :

— C’est malheureux que tu n’emmènes pas la Comtesse… Ou plutôt que tu ne lui demandes pas de nous emmener. Elle voudrait tout de suite : elle a une Chrysler magnifique !

J’ai souri… Un portrait si charmant m’a été fait de cette femme que je me suis méfié de moi et de ma faiblesse. Thierry voulait m’entraîner chez elle. Je l’y ai laissé monter seul, et pendant ce temps, dans une prairie, à l’ombre d’un noyer, j’ai entrepris la lecture du livre de « Science » avec lequel l’instituteur payé par l’État, M. Nègre, a prétendu instruire Thierry, jeune Français. C’est le livre où se trouve la leçon sur l’eau de Javel. J’étais curieux de connaître le reste. Et il faut dire que j’ai passé une heure curieuse, à la fois bouleversé et diverti.

Le premier chapitre porte en fronton le mot le plus admirable : L’air. À ce mot, l’esprit s’envole. Je me suis mis à lire avec avidité :

« L’air est nécessaire à la vie. Essayons à la fois de fermer la bouche et de pincer le nez ; si nous y réussissons, nous serons asphyxiés. »

J’ai eu l’impression, dès ces premières lignes, de faire connaissance avec un loufoque. J’ai regardé le nom sur la couverture : « Bienvenu, ancien directeur d’école primaire. » Nom et titre attestaient l’ensei-