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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

— Il ne s’agit pas de croire, ou de ne pas croire !… Ignoramus !

Le curé a donné à Thierry des leçons de latin. L’instituteur des leçons de « Science ». À la vérité, il ne paraît rien savoir… que des vers français ! Il s’est fabriqué un tableau des dates de naissance et de mort de nos poètes, et à ces occasions, il apprend pieusement de longs morceaux de Corneille, de La Fontaine, d’André Chénier, d’Anna de Noailles.

Il m’a paru très au courant de la politique extérieure : la Comtesse a un frère ambassadeur, elle lui fait de passionnants récits. Par Flora il n’ignore rien du fascisme et de Mussolini. Mme Alexandreff lui a décrit avec détails la vie européenne vers 1900 : elle connaît toutes les familles royales par le menu, et ne s’égare sur rien, même pas sur les mariages morganatiques. En outre, il parle de la T. S. F. comme s’il l’avait inventée, et des avions comme s’il en fabriquait. Pour les autos, il dit les formes « aérophagiques » au lieu « d’aérodynamiques », mais le sens ne s’en trouve guère changé. Il a d’étonnantes notions de cuisine. La ratatouille de Mme Hébert soulève chez lui des protestations. À l’improviste, il la surprend au fourneau, lui dit ce qu’il voit faire chez Flora, et ajoute avec autorité : « Chez papa voilà ce qu’on fait ! » Enfin, c’est d’une incroyable drôlerie de l’entendre