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LE PETIT GARÇON ENCHANTÉ

avait l’air de soigner son aile, réfugié dans un pin, juste au-dessus de lui ! Mon Dieu, s’il avait pu lui faire comprendre que quoique de race humaine, il n’était pas comme les autres, qu’il voulait le soigner et l’aimer ! Mais… au premier mot, le pigeon s’envolerait ! — « Quelle torture, madame, disait-il le soir à Mme  Alexandreff, de ne pouvoir persuader à une bête qu’on est un honnête homme ! » Fou de dépit et de regret, il avait voulu du moins emporter l’image du pigeon, et dirigeant son petit kodak comme si c’était une lunette d’astronome, il l’avait pris par en dessous, tel qu’il le voyait… Sur l’épreuve il n’y avait que lui pour le retrouver. J’avoue que moi, son père, je ne vis rien. Mais Mme  Alexandreff répétait confiante : « Je vous jure qu’il dit qu’on peut le voir ! »

Des romans de Dickens traînaient sur une table, débrochés, toutes les pages éparses :

— Ce sont nos lectures, fit-elle. Je les lui lis tout haut en anglais. Puis je les lui traduis en français. Après quoi, je les lui fais remettre en anglais. Mais pour qu’il saisisse bien la différence de son anglais avec l’anglais des anglais, ensemble (nous ne sommes pas gros, nous tenons dans le même fauteuil) nous les relisons encore dans son vrai texte anglais. Ah ! monsieur, ajouta-t-elle, les larmes aux yeux, j’accepte de l’argent de vous, parce