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LE PETIT GARÇON ENCHANTÉ

sais trop peu. À mon âge, n’est-ce pas ! Alors, j’en invente… mais elles ne sont pas fameuses !

Je le dévorais des yeux ; j’avais envie de l’embrasser de nouveau.

— Et les trois mille francs ? demandai-je. Je suis un peu inquiet.

— Oh ! dit Thierry en se redressant, tu n’as pas à être inquiet : ça ne regarde que moi. C’est un pari que j’ai fait avec elle. Nous étions un soir là-haut : elle a allumé du feu, il faisait humide. J’avais ramassé une magnifique pomme de pin. Jamais je n’en avais vu de si belle, papa : c’était comme une fleur en bois ! Alors, j’ai dit à la comtesse : « Elle est trop belle, elle résistera au feu ! Je le parie, madame. Je fais le pari ! Je parie trois mille francs ! » Et j’ai prié Dieu de toutes mes forces pour qu’elle n’éclate pas ! La comtesse me disait : « Mon pauvre petit, elle va s’ouvrir tout d’un coup ; et vous perdrez ! » Alors, j’ai crié : « Madame, donnez-moi votre main, pour le pari, donnez-moi votre main ! » Elle a des mains très belles, tu verras ! J’ai tenu sa main, le temps de faire encore une prière. Puis je l’ai lâchée tout à coup, parce que tout à coup j’ai pensé que c’était perfide de mettre le Bon Dieu avec moi. Elle, qu’est ce qu’elle avait ? J’ai donc lâché la main, et changé ma prière. J’ai dit tout bas : « Non, non, je me suis trompé ! J’aime mieux perdre ! » Et aussitôt, tu entends, aussitôt