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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

sa vie, au lieu de s’épuiser en incertitudes, de s’accrocher à celui-ci, à celui-là, à tout le monde, à personne.

J’étais décidé à aller voir Thierry, et à le ramener. Mais où ? Dans ma chambre d’hôtel ? Paris n’est plus un lieu propice à l’éducation poétique d’un enfant. Ne ferais-je pas mieux de prendre le singe, l’Égyptien, le Ravi, de les lui porter, de m’installer avec eux près de lui ? Bien sûr ! C’est l’évidence !

J’étais en train déjà de décrocher le singe, quand on m’a annoncé la visite d’une de mes nièces, qui est cheftaine, ce qui veut dire, paraît-il, qu’elle promène des scouts, les guide, les chapitre, leur tient lieu de père, de mère, de marraine, de nourrice. Elle avait revêtu, pour la dignité nécessaire à tous ces emplois, un costume gris bleu, qui, à la rigueur, peut paraître féminin, mais elle portait aussi de gros souliers, un fort bâton, un sac très lourd et un large chapeau, tel un homme de la montagne. Cette pauvre fille est l’enfant de mon frère, dont je ne vous ai peut-être pas parlé. Je ne le vois jamais, pas plus que sa femme, pour la simple raison que je n’ai rien à leur dire. Mais je vois ma nièce, parce que je lui donne des étrennes, et qu’à Pâques, à la Trinité, pour sa fête aussi, j’envoie de menus cadeaux. Elle ne me fait jamais de bien longues visites. J’ai du penchant pour les femmes fines : elle est