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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

dait. Saint-Remy, titubant, se mit à dire : « Marie !… Ma bonne Marie ! » On s’empressa, et on les fit entrer dans une pièce qui attenait au garage.

Encore assis, je dis doucement aux gens qui m’entouraient :

— Je n’ai rien du tout… C’est miraculeux.

Le cheval ne tenait plus sur ses jambes : il s’abattit. Un homme remarqua : « Regardez c’te roue d’arrière. Encore vingt mètres, elle serait sautée ! »

Peu à peu je retrouvais mon souffle, le battement normal de la vie. Je regardai le garage d’autos, où ce cheval était venu faire amende honorable ! Une telle joie de vivre m’envahit que j’eus envie de sourire devant l’ironie de l’événement, mais tout le long de la course folle, j’avais eu cette clarté de vue qui ne m’abandonne jamais dans le danger ; et je gardais une telle stupeur des choses que je venais d’entendre, qu’un besoin de solitude, un besoin impérieux, comme toujours, s’imposa. Sous le prétexte de m’asseoir à l’air, j’entrai dans la cour de la maison. Personne ne m’y suivit… Une porte donnait dans un jardin : je la passai… Au bout du jardin, c’était une prairie, que je traversai vite ; et je me trouvai dans un chemin, qui me remit sur la route, au sortir du village. Là je m’assis ; on ne me connaissait pas ; j’étais libre.