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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

Alors, je commençai à expliquer ce pays d’Allemagne, où il est si difficile d’avoir confiance.

Je parlais en même temps à Saint-Remy, penché vers moi, parce que le siège du cocher lui repoussait la tête, et à la bonne Mme Saint-Remy, qui à chaque tour de roue piquait mon chapeau d’une des baleines de son ombrelle.

— Vous êtes bien mal ! disais-je à Saint-Remy.

— Je vous gêne affreusement ! reprenait pour moi sa femme.

Et entre les deux refrains, sous un ciel lumineux, qui avait l’air de bénir une campagne féconde, je me mis à raconter M. Kiss et ses statistiques, M. Rimmermann et sa foi, M. Torsthoffen et l’armée pacifique.

Saint-Remy était enchanté. Il dit :

— C’est une race incroyable !

Je remarquai :

— Quand on rentre en France…

Il conclut :

— On s’aperçoit que c’est le premier pays du monde !

C’est sur ces mots de satisfaction que le groupe formé par le cheval, la voiture, le cocher, nous quatre, passa brusquement de la vie normale à la vie catastrophique, car sur ces mots — et bien entendu, sans qu’on puisse croire au moindre rapport entre eux