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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

riant, me prenant le bras, me félicitant d’un vêtement neuf, qui, je le reconnais, est d’une étoffe anglaise assez agréable.

Et Mme Saint-Remy souriait, paraissait moins lasse, balbutiait deux mots sur son plaisir de retrouver un ami.

J’avoue que j’ai été touché ; j’aurais voulu tout de suite avoir un geste de gratitude. Il m’a semblé brusquement que j’avais donné pour l’œuvre nationale qu’entreprend Saint-Remy un chèque bien mince, mon Dieu ! Et j’ai eu honte de lui avouer, une fois de plus, l’échec de mes tentatives. Car ce voyage est un échec… comme le reste ! Que je sois rue Saint-Honoré, chez un receveur des postes à Pont-sur-Indre, en Allemagne au milieu d’hitlériens, je découvre partout que je ne suis bon qu’à me retirer, à méditer, à juger mes contemporains, mais jamais à les aider.

— Alors ? Alors ? me demandait Saint-Remy. Cette Allemagne ?

— Ah ! cette Allemagne, ai-je dit, il est bien difficile d’en parler brièvement…

— Nous allons en parler longuement, a repris Saint-Remy, qui riait de nouveau dans le soleil.

Nous sortions de la gare.

— Mon bon ami, dit-il, regardez-moi, je vous prie, cette campagne française !

Sa voix chantait ; un peu ; pas trop.

— Quelles lignes ! Quelle douceur ! Ils