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ALLEMAGNE

— Non, non ! N’oubliez pas que nous sommes racistes ! Nous n’avons de ce fait nulle envie d’asservir une race mêlée comme la vôtre, et inassimilable !

Le Français est inassimilable ! Je le regardais dans les yeux : il me souriait. Il se croyait amical, puisqu’il me disait sa pensée. Si j’avais répliqué par une impertinence, c’est moi qui aurais paru l’agresseur. Il n’y avait qu’à encaisser, en rageant. Mais voilà le genre d’humiliation qu’on subit partout… quand on veut causer.

Aussi, presque partout, j’ai regardé et écouté… en me taisant.

J’ai regardé le camp de travail qu’on m’a montré près de Berlin, au milieu des sapins, dans la boue. C’est M. Kiss, encore, qui m’accompagnait. Il parlait comme Jean-Jacques :

— Voyez : c’est le retour à la Nature ! L’Allemagne était entre les mains des maîtres d’école. Grâce à notre Chancelier, elle revient aux saines traditions.

Il y avait une guérite à l’entrée du camp. Devant elle, un jeune garçon, vêtu en soldat, tenait une pelle.

— Voyez, dit-il encore, les hommes ici n’ont qu’une pelle. Ils ne font aucune excitation militaire !

Mais ils excitaient à rire, car le jeune garçon, comme j’avançais, présenta les armes… avec sa pelle !