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ALLEMAGNE

vrier sera dans le besoin, je n’aurai besoin de rien ! » J’écoutais, et bien entendu sans répliquer. À la déclaration sur la France, que répondre ? On manque de confiance ; un point, c’est tout ; ce ne sont pas des choses à dire tout haut. Quant à la dernière phrase, elle n’a guère de sens. Même si la misère était abolie, ce qui est impossible, il y aurait toujours des ouvriers pour réclamer, ne serait-ce que ceux dont c’est le destin ! Mais M. Rimmermann, comme tous les Allemands, est ému par ce trait. Un jour, en sortant de table, il m’a montré les fenêtres de l’appartement de trois pièces qu’Hitler occupe, quand il vient à Munich. Il loge chez sa sœur, qui fait elle-même le ménage. Je me figure très bien tout cela en voyant les portraits de ce dictateur-prophète, sa mèche qui n’est qu’un épi, son nez en boule, sa petite moustache d’ouvrier. Il serait mal à l’aise dans un palais, mais il y a de quoi enivrer le prolétariat primaire, c’est-à-dire l’immense majorité de l’Allemagne, dont l’esprit est si diminué. M. Rimmermann, qui est fin, s’efforce en le louant de prévoir les objections tacites. Il dit : « C’est un grand cœur » ; et devine aussitôt qu’on se demande : « Est-ce une tête ? » Alors, il ajoute vite : « Ses sentiments ont un fond rationnel. C’est un idéal-réaliste. » Puis il explique : « Surtout, c’est un Autrichien ! Ne l’oubliez ja-