Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

monde réel ? Ah ! bien, oui ! Devant le contrôle, admirez, chère amie ! Il y a là en tenue, en blouses blanches ornées de la Croix-Rouge, prêts pour la syncope ou l’incendie, deux infirmières et un infirmier.

C’est fini… Je n’ai plus envie de me divertir. Je pense au malheur… Eux, ils y pensent aussi, mais pour être satisfaits de leur prévision et de leur sécurité. Comment sont-ils bâtis ? Voilà la question.

J’y ai réfléchi. Je crois… que les Allemands sont une race sensible, peut-être la plus sensible ; je crois qu’ils sentent tout ! Sans cesse choqués, blessés, ils demandent pourquoi on les blesse. En le demandant, ils nous énervent ; et il arrive alors qu’ils se font injurier, bien mieux, qu’ils aient l’air de l’avoir cherché… Sensibles, susceptibles, timides, tel est le fond de leur nature. Nous leur attribuons de l’audace ; ils n’en ont aucune. Ils ont l’effronterie brusque de gens qui n’osent pas, puis qui tout à coup, honteux d’être des humbles, se jettent sur les voisins ! Les Allemands sont des envahisseurs violents, parce qu’ils ne savent ni voyager, ni visiter, ni s’imposer par la grâce et l’esprit. Gênés, ils deviennent maladroits ; et la maladresse enfante d’abord le mauvais goût. Les races au goût le plus sûr, les Grecs puis les Français, furent les plus inventives, c’est-à-dire les plus hardies, les plus libres. Le