Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
ALLEMAGNE

qui à l’air d’un plumage. Je passe sur les milliers de petits chapeaux verts d’une obsédante laideur. Je passe sur les sacs que tant de femmes portent en carnassières, suspendues à l’épaule par une longue courroie, et pour vous je recueille simplement deux perles.

Arrêtons-nous, au cœur de Munich, devant un magasin de souliers. Voici de quoi chausser plus de cent hommes et cent femmes, et tout de suite on est accablé par le nombre ! L’habileté dans ce commerce difficile c’est de faire un sort à la chaussure… en faisant oublier le pied. Non, les Germains ne veulent pas ! Leurs souliers se présentent alignés sur trois rangs, dans un ordre offensif. Une troupe en marche, déjà ! L’impression est suffocante. Mais pour l’apaiser — ô trouvaille imprévue ! — jaillissant d’un vase, au milieu de tant de chaussures, une gerbe de fleurs !

Peut-être allez vous dire : « Vous avez vu cette bouffonnerie une fois ! Pardonnez et passons. » Je l’ai vue dans tous les magasins de chaussures de Munich. Mais je passe en effet, je passe volontiers… et vous emmène à l’Opéra… ou enfin je l’imagine. Théâtre, musique, plaisir ! Hélène, nous allons côte à côte vivre une soirée devant un chef-d’œuvre. En descendant de voiture, vous sentez comme moi que nous laissons le