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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

faite ? Celle des Allemands reste pourtant grossière. Je n’ai pu m’empêcher de sourire, au Musée de Munich, devant le régiment des bustes romains. Ils sont là en exil. Ennuyeux, mais surtout s’ennuyant. Rome, la Rome affinée par les Grecs, n’a pas atteint la Germanie. Les Germains n’apportent aucun esprit à ce qu’il y a de plus important dans la vie matérielle : la table et le lit. Leur table est horrible ; ils mangent du poulet bouilli, et des pâtisseries d’un poids effroyable, véritables produits d’usine ! Quant au lit… ils ne soupçonnent pas ce que c’est. La tendresse y est un leurre : on y vit dans les courants d’air, sous un drap boutonné sur un édredon ! Enfin, ils montrent dans toute leur vie un manque de goût si certain que c’est peut-être le trait le plus important de leur nature, et qu’après s’en être amusé, on se demande : « Mon Dieu, est-ce qu’il suffit d’en rire ? Il vaudrait peut-être mieux comprendre. En riant, on les vexe ; on prépare leur rancune et le carnage. Tandis qu’en voyant clair, on peut les aider… qui sait, les consoler ! »

Procédons par ordre. Rions d’abord. Vous-même, Hélène, si délicate, et qui n’aimez pas vous moquer, auriez-vous résisté aux deux traits que je vais dire ? Je passe sur les têtes des hommes, ces têtes rasées où le coiffeur ne laisse au sommet qu’une mèche