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RELIGIONS

scandale… Votre ton est sincère… Je vous demande pardon, monsieur !

Je le regardai : il y avait une buée sur ses yeux. N’ayant pas prévu ce retour si brusque d’une âme que j’accusais pourtant de plus de négligence que de médiocrité, je sentis une émotion. Le mot de scandale n’avait pas un son de parfaite contrition ; mais… il fait partie du langage ecclésiastique ; je ne m’y attardai pas ; je repris :

— Monsieur l’Abbé…, je ne voudrais pas vous paraître trop violent. La violence est nécessaire, à une époque où tant de niais parlent avec béatitude des progrès de la religion ! La religion ! Elle fond comme neige au soleil ! On ne voit plus que des mares et des flaques, ces symboles de la stagnation et de l’indifférence. Pascal l’a crié : il n’y a plus assez d’hommes pour se passer le flambeau de l’esprit ! Sous le prétexte de la tolérance, on a loué, fêté, fait triompher tous ceux qui n’étaient que les servants du veau d’or ! Ah !… cette fois-ci, je prêche ; je prends le vocabulaire des sermons ! Il est temps que je rentre dans la nuit, d’où je suis sorti pour vous aborder, avec une audace… que je ne regrette pas !

À la vérité, je me demandais si je la regrettais ; c’est mon amour-propre qui décida. Celui de l’abbé, malgré ses paroles, n’était pas étouffé non plus, car nous nous quittâmes