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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

ressuscite : « Oh ! monsieur, répond-elle suffoquée, les Messageries ont mis cela dans notre lot, mais nous ne savons pas ce que c’est !… »

Il n’y avait rien à dire : je suis parti. Mais à ce moment-là, je me suis senti moralement submergé. Il faut une limite à la lâcheté, à la bêtise. Sinon, c’est la crue qui emporte tout. Un prêtre passait. Je l’ai reconnu : il avait dit cette messe qui m’avait tant désolé le matin. Je l’ai abordé :

— Monsieur l’abbé, avez-vous une minute ? Merci ! Voulez-vous regarder cette mercerie, qui joue à la librairie ? Voulez-vous jeter les yeux sur le marchand de journaux ? Avez-vous rencontré ces cortèges de hurleurs ? Quel sentiment éprouvez-vous devant tout cela ? N’est-ce pas celui d’un naufrage, d’une humanité à la dérive, et que le bon sens a fui ? Je vous demande pardon de ce discours, monsieur l’abbé, j’ai encore ma raison ; je vais vous en donner la preuve : ce matin, j’ai suivi la messe que vous avez dite ; elle m’a gravement atteint ! Dans une société qui n’a plus de spiritualité, j’espérais trouver là tant d’esprit ! Quelle déception ! Étiez-vous malade ? Avez-vous perdu la foi ? C’était horrible la lassitude de vos gestes pour célébrer ce sacrifice divin.

À ces mots, l’abbé, qui avait pâli, s’insurgea :