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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

— Vous avez un organe magnifique ! dit Saint-Remy émerveillé. On comprend que la France entière vous écoute bouche bée !

Et je songeais à cette éloquence satisfaite, promenée du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, sans qu’un effort soit même tenté pour s’adapter aux esprits, aux climats, aux intérêts, à toutes les nuances de la vie. Ce qui m’attristait, ce n’était pas Bourdelange ; il faut peut-être de ces gens-là ; c’est que Saint-Remy ne parût pas attristé. Mme Saint-Remy seule était triste, mais c’était le souci de sa maison. Elle n’a jamais vécu qu’avec des hommes ; on sent chez elle le respect de l’homme et de ses égoïsmes ; elle ne mange guère, pour veiller mieux à ce que les hommes mangent bien : les hommes ont besoin, paraît-il, de bien manger… Je ne pouvais m’empêcher d’être mélancolique. Cafaret, Brutedeveau, Bourdelange en une soirée ! Quel déversement de bruits affreux ! Et dire que le monde a entendu passer des êtres comme Mozart !…

Le dîner fini, on sortit dans le jardin. C’était une soirée de lune : elle commençait de monter au-dessus des arbres.

— Ah ! dis-je au lieutenant, celle-ci console de tout !

Le lieutenant était jeune, fort et rond, emplissait sa vie d’exercices précis et limités, commandait d’après le code, obéissait selon