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RELIGIONS

— J’irai avec plaisir, lui dis-je sans hésitation.

N’étant plus à Paris, j’étais possédé de nouveau par mon idée qu’il faut causer, qu’on peut beaucoup. J’attribuais à mon interlocuteur, d’avance, une loyauté parfaite, d’où la fraîcheur de mes illusions.

Elle fut vite ternie. Dès que je vis la maison de Cafaret ! Quand sa femme me poussa dans la salle à manger, on eût dit qu’elle m’enfermait dans une cage ; puis elle courut en hâte au jardin, où le receveur arrosait ses légumes et ses pieds.

— Viens vite ! lui dit-elle en s’étranglant, comme si la proie était à dévorer tout de suite.

Je contemplais le buffet Henri II, la suspension, surtout trois photographies agrandies de bonshommes qui sont la gloire poussiéreuse de la confrérie : Ferdinand Buisson, Guernut, Léon Brunschwicg ! J’avais pensé parler en tête à tête avec Cafaret ; et voici que ces sinistres visages abattaient mon élan, avant même l’arrivée du receveur.

Celui-ci entra de côté pour laisser ses sabots sur le seuil, et surtout glisser un regard de travers, avant d’être vu lui-même. Puis, sitôt entré, il s’assit à contre-jour, m’installant dans la lumière. Sa figure chafouine, où tout est plissé, se mit au guet,