Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

tout !… Prenons une voiture. Allons aux Champs-Élysées. Je me plais dans ce décor-là.

Il arrêta un taxi. Comme nous roulions, il parla de la guerre possible. C’est un sujet où la banalité est cruelle. Il me sembla juste et mesuré.

Dès que nous fûmes dans les Champs-Élysées, en marchant vivement, il me dit avec allégresse :

— Je ne peux pas vous énumérer tous mes projets, mais je crois qu’ils ont tous une raison de vivre et d’aboutir. La seule difficulté, c’est l’argent… J’en aurai… J’en ai déjà !

Il tira son portefeuille, sortit un papier qu’il me fit lire.

— Oh ! m’écriai-je, c’est magnifique !

— Soixante-cinq mille en moins de trois semaines !… Et des noms dont vous auriez pu douter… Alors…, fit-il, en s’asseyant à une table de café, et en m’y faisant asseoir, vous pensez… que ceux dont je suis sûr…

De quelle manière prononça-t-il ces mots ? Il arrive au théâtre qu’on est pris tout à coup aux entrailles par un accent plus beau, et comme on est venu pour rencontrer la beauté, spontanément, on applaudit ! Dans la vie, l’exaltation se traduit d’autre manière. On remercie par un élan d’amour, d’amitié, par un don.