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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

plus chères pensées qu’il exprime avec une facilité, une perfection que je n’ai pas. Ce qui me plaît surtout, c’est qu’il s’élève ; il domine le débat. Ce n’est pas un conseiller municipal ; c’est un philosophe et un poète. Il était à peine assis, qu’il nous montrait comment l’organisation de la matière a désorganisé l’esprit. Autos, avions, T. S. F., les journaux surtout, autant d’inventions mécaniques qui brouillent la vie spirituelle. Pourquoi les machines marchent-elles ? On les établit sur des principes. Pourquoi les esprits ne marchent-ils plus ? Les principes leur font horreur. Qu’est-ce qui les enchante ? La curiosité, c’est-à-dire l’éparpillement.

Ces idées étaient tellement les miennes que je m’écriai :

— Monsieur, si nous avions beaucoup d’esprits comme le vôtre !…

Il parut sincèrement confus… et heureux. Il continua son exposé. Erreur matérialiste, erreur individualiste. Il leur faut, dit-il, un remède universel. Il n’y a qu’un ordre qui le soit : l’ordre catholique ; qu’une solution : y revenir.

Je le regardais bien, en l’écoutant. Il a le charme d’un artiste, avec une précision mathématique.

— La preuve, continua-t-il, qu’il n’y a qu’à revenir à l’ordre catholique, c’est que