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CHAPITRE DOUZIÈME

c’est à vous de faire votre chemin », et il alla tambouriner sur la fenêtre pour ne pas troubler ce premier entretien. La ville et le pays tout entier s’élevèrent contre ce mariage. Au bal donné par M.  de Cavour en l’honneur du prince Napoléon, toutes les dames de l’aristocratie s’abstinrent. Dans toutes les classes de la société on parlait avec désapprobation de cette union qui ne pouvait flatter en rien l’amour-propre national et qui ne pouvait promettre un heureux avenir à cette jeune princesse si aimée. Le pays était attaché à l’ancienne dynastie de la maison de Savoie dont il est fier. Le prince de Carignan se jeta aux pieds du Roi et lui demanda grâce, lui parlant de son père, de sa mère, invoquant le souvenir de sa femme qu’il aurait tuée, disait-il, si Dieu la lui avait conservée, en persistant dans son projet. Il répondit : « C’est trop tard. » Le général Alphonse de La Marmora lui parla aussi avec beaucoup d’énergie et lui dit qu’il n’avait pas le droit de sacrifier sa fille malgré l’opinion contraire du pays ; que loin de servir la santa causa, cela lui porterait malheur. Il fut inexorable. Comme il le disait, il était trop tard. C’était pour être en présence d’une décision irrévocable que, prévoyant l’opposition que rencontrerait ce mariage, Cavour avait si bien gardé le secret.