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MES SOUVENIRS

sur elle ; elle remua ciel et terre, fit constater que les seigneurs de Gastilitz m’avaient pas cessé de payer l’impôt pour leurs serfs exilés ; bref, après deux ans de luttes, elle parvint à lever tous les obstacles et à obtenir la grâce de ces malheureux. Tout en cédant, l’Empereur lui dit que de pareilles faiblesses rendraient impossible le gouvernement de la Russie.

En me promenanit avec Mme Potemkin dans son domaine de Gastilitz, je demandai à voir un des paysans graciés. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, dont la barbe était grisonnante. « C’est à notre bonne mère que nous devons notre grâce, me dit-il ; quand on va dans ce pays, on n’en revient jamais. Lorsque j’y étais, chaque nuit je rêvais de mon village et j’étais désespéré quand au réveil je me trouvais en Sibérie. Je vous réponds qu’ici je ne rêve pas de la Sibérie. Cependant c’est un beau pays qui n’est pas aussi malsain qu’on le prétend : sur soixante-douze que nous étions partis, tous sont revenus, sauf un seul qui s’est noyé. » Le brave homme profita de la circonstance pour obtenir de Mme Potemkin un cheval en remplacement du sien qu’il venait de perdre. « Que peut faire un paysan, disait-il, sans un cheval ? »

Le 16 juillet, je partis pour Moscou, passant devant Kolpino où sont les mines et les corderies de la