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CHAPITRE SIXIÈME

exactions poussèrent les paysans à la révolte. Ils se présentèrent au château, armés de haches et de faux, disant qu’ils préféraient être envoyés en Sibérie plutôt que de rester sous l’autorité de l’intendant qu’ils détestaient. Celui-ci fit appel à l’autorité. Les meneurs reçurent le knout, et soixante-deux paysans furent envoyés en Sibérie.

L’acquisition de Gastilitz par M. Potemkin eut lieu bientôt après. Sa femme, qui avait été d’une grande beauté, était la bienfaisance même. Elle passait sa vie à des œuvres de charité, et elle était auprès de l’Empereur la protectrice de toutes les misères.

Mme Potemkin ne tarda pas à apprendre le désespoir des exilés et de leurs familles. Les mères, les sœurs des déportés lui faisaient confidence de la pénible situation que leur créait leur abandon. Touchée de compassion, elle pleurait avec elles et elle leur promit de tout faire pour émouvoir l’Empereur. M. Potemkin venait d’être nommé maréchal de la noblesse, et il aurait craint de se compromettre en faisant des démarches contraires aux règles rigoureuses de la législation russe. On soulevait une objection de légalité assez curieuse. Les serfs transportés en Sibérie ne peuvent quitter ce pays, mais ils y acquièrent la qualité d’hommes libres ; or un homme libre ne peut redevenir serf. Mme Potemkin prit tout