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MES SOUVENIRS

Dans la lettre de créance accréditant son ambassadeur, résistant aux conseils de M. de Nesselrode, il refusa de qualifier Napoléon III de son bon frère, suivant l’usage entre souverains, et il remplaça cette expression par celle de son bon ami.

« Non, dit-il ; les frères sont donnés par le ciel, et on choisit ses amis. Je ne puis être le frère de Napoléon quant à moi, je ne puis l’appeler qu’ami. J’admire ce qu’il a fait, et s’il m’avait demandé conseil, je ne lui en aurais pas donné d’autres sans doute que ceux qu’il a reçus de sa conscience ; mais, malgré tout, je ne changerai pas, comme l’Autriche et la Prusse ont cru devoir le faire, ma première décision. En vérité, il vaut mieux pour lui qu’il ait un bon ami qu’un faux frère ; c’est, je le répète, Dieu qui donne les frères, et c’est nous qui choisissons nos amis. »

Il blessa ainsi cruellement le chef du gouvernement de la France, qui n’oublia pas cette offense calculée. Sans la question du bon frère, il n’y aurait jamais eu de guerre de Crimée, a dit M. de Beust[1].

Suivant l’expression de M. Thouvenel, « on regardait à Saint-Pétersbourg le prince Louis-Napo-

  1. Mémoires du comte de Beust, t. Ier, p. 137.