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MES SOUVENIRS

reur conservât mémoire de ce nom, demandant à chaque instant des nouvelles de cet officier imaginaire. On lui dit d’abord qu’il était très mal noté ; il exigea qu’on lui donnât de l’avancement. Le ministre, tremblant que l’Empereur finit par apprendre la vérité, se décida à dire qu’il était mort. Par une incroyable bizarrerie, l’Empereur s’était attaché à cet inconnu, et il éprouva un vif chagrin lorsque cette nouvelle lui fut donnée.

Les intrigues anglaises n’auraient pas été étrangères à l’assassinat de Paul. Peu auparavant, le général Hédouville, envoyé par le Premier Consul, avait été invité par lui à dîner à Oranienbaum. Au dessert il coupa une orange en deux et il en envoya par un page une moitié au général français en disant très haut, de manière à être entendu de tous les convives : « Dites au Premier Consul que je veux que la France et la Russie soient aussi unies que les quartiers de cette orange dont je garde la moitié en vous donnant l’autre. »

Ce fait fit alors grand bruit. Il m’a été raconté par le comte Tolstoï, écuyer de l’empereur Nicolas : il était alors enfant, et il assistait comme curieux au dîner dans une galerie supérieure. Il vit de ses yeux l’envoi de l’orange, et son père, présent au dîner, lui raconta à plusieurs reprises l’incident auquel il