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MES SOUVENIRS

curiosités, de magnifiques vases du Japon. Dans les encoignures, des étagères étaient couvertes des trésors de ce véritable musée. La maîtresse de maison accueillait avec une bonne grâce parfaite et une grande tolérance les individualités les plus diverses ; et, comme l’a écrit M. de la Rive, neveu du comte de Cavour, sous son aimable influence les dissidences politiques ou religieuses semblaient perdre de leur âpreté. On était introduit dans son salon par quatre valets en grande livrée qui annonçaient solennellement les visiteurs, sans omettre jamais les titres auxquels ils avaient droit. Tout chez elle avait gardé les mœurs et les habitudes du règne de Louis XVI.

La bonne duchesse, qui avait été jolie et coquette en son temps, fut gourmande en sa vieillesse. On faisait chez elle d’excellents dîners. Son cuisinier français, nommé Boileau, avait une grande réputation. Le coquin le savait : il n’eût pas échangé sa célébrité contre celle de son homonyme, le grand satirique du siècle de Louis XIV. Il venait fièrement annoncer à la duchesse les jours, les heures même où il serait en état de lui offrir une cuisine digne de sa bouche et de celle de ses amis. Un matin, il entra gravement dans la chambre de sa maîtresse et la pria de donner à dîner dans deux jours aux plus fins gourmets de la cour : « Madame la duchesse, s’écria-