fragilité. On dirait qu’un auteur, ne sachant rien de Jésus, sinon qu’il était le Messie, aurait tiré sa biographie de l’Ancien Testament grec, en mettant les textes les plus simples à la torture. Mais il y a plus. Dans le Psaume 22, le Juste persécuté dit que ses ennemis tirent au sort ses vêtements : ce détail a pris place dans l’histoire de la Passion, où il a été introduit pour « vérifier » la prophétie. Mais le Juste dit aussi : « Ils m’ont percé aux mains et aux pieds », c’est-à-dire : « Ils m’ont mis en croix. » Si l’on ne veut pas user de deux poids et de deux mesures, il faut reconnaître que le verset du Psaume peut être l’origine de la tradition qui fait crucifier Jésus. Que reste-t-il alors de toute l’histoire évangélique, depuis l’étable de Bethléem jusqu’au Golgotha ?
41. Il reste le christianisme, c’est-à-dire non seulement « un grand établissement », mais l’élan spirituel le plus puissant qui ait transformé les âmes et continue à évoluer en elles. Cette influence est due, pour une part, à la beauté tantôt idyllique, tantôt tragique de la légende, mais plus encore à ce qu’on appelle la morale de l’Évangile, telle qu’elle se dégage des paraboles et des discours attribués au Sauveur. « L’esprit de l’Évangile, dit avec raison l’abbé Loisy [1], est la plus haute manifestation de la conscience humaine cherchant le bonheur dans la justice. » Assurément, la morale chrétienne n’est pas originale, pas plus qu’aucune morale religieuse ou laïque ; elle est celle des écoles juives d’alors, d’un Hillel ou d’un Gamaliel ; mais elle paraît, dans les Évangiles, dégagée de toute scolastique, de tout pédantisme ritualiste, robuste et
- ↑ Loisy, Quelques lettres, p. 71.