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histoire de la révolution russe

tentes, sur les châtiments purificateurs qu’il leur infligeait. « Ce n’est que par moi qu’on peut être sauvé, déclarait-il. Pour cela, il faut qu’on se confonde en moi, corps et âme. Tout ce qui vient de moi est la lumière qui délivre du péché. » L’Église romaine, à côté de beaucoup d’innocents, a frappé plus d’un Raspoutine ; lorsque l’Inquisition d’Espagne sévissait contre les confesseurs solicitantes y flagelantes, elle avait des avantages sur le Saint-Synode russe, qui sut tout et qui ferma les yeux.

Il est probable que l’imagination s’est donné toute licence pour attribuer à Raspoutine plus de méfaits qu’il n’en a pu commettre ; mais ce qui est sûr, c’est que ce robuste moujik, aux yeux bleus sombres, aux mains agiles et fines, exerçait, sur les femmes du monde comme sur les paysannes, une étrange et périlleuse fascination. La princesse Lucien Murat a dit de lui : « On l’aurait pris pour un homme des bois ; mais il parlait d’amour comme un séducteur »[1].

Au mois de juillet 1914, une femme tenta de l’assassiner, soit pour venger Iliodor, soit par quelque rancune amoureuse. Raspoutine lui-même, plus tard, essaya de faire assassiner Milioukov ; mais le drôle chargé du coup eut peur et avoua. On se hâta d’étouffer l’affaire. Nous verrons plus loin le rôle de Raspoutine pendant la guerre de 1914 et sa fin tragique, qui précéda et annonça celle de ses maîtres. Les destinées d’un grand Empire, celles même de la liberté du monde, furent

  1. Figaro du 31 mars 1917 (Polybe). Voir aussi Lindenlaub dans le Temps du 2 janvier 1917, et les lettres d’un grand-duc publiées par F. Masson dans l’Écho de Paris, 10, 17 et 24 avril 1917.