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histoire de la révolution russe

« La sainteté de l’autel et celle du trône sont en péril, s’écria Goutchkov ; c’est un ulcère qui dévore le cœur du peuple ! » Raspoutine s’éloigna, mais en proférant des menaces ; un malheur allait frapper la famille impériale si elle ne continuait pas à prier avec lui. Effectivement, l’héritier du trône tomba malade ; la Douma ayant été prorogée dans l’intervalle, on rappela en hâte Raspoutine ; l’enfant guérit[1].

Deux ans après (avril 1914), l’évêque André d’Oufa attaqua violemment l’aventurier. Il dit que les faux prophètes étaient un signe de la décomposition nationale et rappela que les gouverneurs de provinces avaient autrefois recherché la faveur d’Iliodor, malgré sa notoire inconduite. Le nouveau faux prophète ne porte pas de froc (Raspoutine ne fut ordonné qu’en juin 1914), mais il est d’autant plus dangereux que le loup a revêtu la peau d’un agneau. Cet homme, à qui l’on devrait refuser les sacrements, a l’impudence de jouer le rôle d’un dispensateur des biens terrestres. « Il m’a offert à moi-même, poursuivait l’évêque, une des situations les plus enviables si je répondais affirmativement à sa question : « Croyez-vous en moi ? » Je lui répondis que je le croyais un parfait charlatan. Si ce misérable est en faveur auprès de la haute société, c’est qu’elle a fait moralement banqueroute. »

Tous les jours une file d’équipages amenait chez Raspoutine des femmes du monde, des fonctionnaires, des solliciteurs. D’étranges histoires couraient sur ses amours infatigables, sur les bains qu’il faisait prendre, sous ses yeux, à ses péni-

  1. Gazette de Francfort, 24 juillet 1914 (Wochenblatt).