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ROMANS ET SATIRES.

Grimm a raconté lui-même le plaisant et « horrible complot » d’où est sortie la Religieuse. Le marquis de Croismare, ancien officier du régiment du roi et l’un des amis les plus dévoués des philosophes, s’était retiré, au commencement de l’année 1759, dans ses terres de Normandie, près de Caen. Cette perte « ayant été infiniment sensible » à la petite société de Mme d’Épinay, Grimm, Diderot et « deux ou trois autres bandits de même trempe » cherchèrent le moyen de le faire revenir à Paris. S’étant rappelé que, peu de temps avant son départ, une jeune religieuse de Longchamp avait réclamé juridiquement contre les vœux auxquels elle avait été forcée par ses parents, que le marquis avait sollicité en sa faveur et qu’elle avait cependant perdu son procès, Diderot supposa que sœur Suzanne Simonin avait eu le bonheur de se sauver du couvent, et écrivit en son nom à Croismare pour lui demander secours et protection. Le marquis se laissa prendre au premier appel et engagea aussitôt avec sa prétendue solliciteuse une correspondance qui se prolongea pendant plusieurs mois. Il adressait ses lettres à une certaine Mme Madin, veuve d’un ancien officier d’infanterie, qui vivait réellement à Versailles, chez qui Suzanne était censée avoir trouvé asile et qui savait seulement qu’il fallait recevoir et remettre à Diderot toutes les lettres timbrées de Caen. Les réponses, soigneusement recopiées par une main féminine, étaient signées tantôt de Mme Madin, tantôt de Suzanne elle-même. Natu-