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DIDEROT.


littéraire. Le xviiie siècle n’a connu de Diderot que la plus petite partie de son cours, au sortir de sa source, et le lac encyclopédique qu’il a formé avec de multiples collaborations ; les romans, dialogues et lettres, qui ont justifié sa gloire, n’ont paru au soleil que de nos jours. Imaginez tel cataclysme ou seulement tels incidents vulgaires où auraient disparu le manuscrit de la Religieuse et celui de Jacques le Fataliste, le Neveu de Rameau et le Paradoxe sur le comédien, les lettres à Mlle Volland et celles à Falconet, les Salons et le Rêve de d’Alembert, et cherchez quelle idée, n’ayant pas entendu le monstre lui-même et n’ayant l’écho affaibli que de ses paroles officielles, nous nous ferions aujourd’hui de Diderot. C’est à peine si les plus clairvoyants le devineraient, comme font les astronomes ou les mathématiciens pour l’une de ces forces de la nature ou du monde cosmique dont l’existence ne se révèle à nous que par son action sur d’autres corps. Nous pourrions calculer, comme Le Verrier pour Neptune, la puissance des effets. Mais la cause même ne nous apparaîtrait que voilée de nuages et d’obscurités. Les contemporains, sauf de rares exceptions, n’ont vu que l’homme ; nous avons risqué de n’avoir qu’un nom.

Il n’y a peut-être pas, dans l’histoire d’aucune littérature, de phénomène plus étrange : Diderot a rempli son siècle du bruit de ses batailles, et presque tous ses chefs-d’œuvre n’ont été imprimés que longtemps après sa mort. La Religieuse, où de graves