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L’ENCYCLOPÉDIE.


surcroît ; la conséquence nécessaire, inéluctable de l’Encyclopédie qui émancipe les esprits, c’est la Révolution qui affranchira les corps.

On a essayé[1] d’opposer aux Actes des apôtres chrétiens, sur qui le monde reposait depuis dix-huit siècles, les Actes des philosophes français. Rien de plus superficiel, partant de plus injuste, que de faire de l’œuvre encyclopédique un simple canon antichrétien. Les philosophes, il est certain, étaient anticatholiques et, dans l’ardeur de la bataille, confondaient le plus souvent la religion officielle et toute politique qui les opprimait, avec le christianisme dont elle n’était que la contrefaçon. S’ils faisaient dire la messe par une demi-douzaine d’abbés dans les bureaux de l’Encyclopédie, ce n’était que contraints et forcés ; rien qu’à leur attitude, il était visible que l’esprit encyclopédique protestait contre cette comédie ; tous les autres écrits des philosophes, leurs moindres propos, respiraient la haine de l’infâme. Cette haine cependant, pour vigoureuse qu’elle soit, implique-t-elle une absolue incompatibilité entre les doctrines générales du christianisme et celles des encyclopédistes ? La contradiction, ici encore, n’est qu’apparente. Dans ce xviiie siècle où les princes de l’Église s’appelaient le cardinal Dubois et le cardinal de Fleury, où La Barre mourait sur le bûcher et Calas sur la roue, si les philosophes s’insurgeaient, c’était, en effet, eux aussi, contre un

  1. Carlyle, Essais, t. II, p, 415.