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DIDEROT.


pesante du monde avait été depuis des siècles le respect des autorités et des traditions que la force avait établies ; nul n’avait l’audace de leur demander si elles étaient conformes à la justice ou seulement au bien général : elles existaient, cela suffisait, et tout pliait et s’inclinait devant elles. Or, maintenant, ce qui se dresse, à la place du respect aveugle et muet, c’est la raison ; et cette raison qui s’éveille interroge tout ce qui existe. Que demande-t-elle ? En apparence peu de chose. Rien que de savoir et de se rendre compte. Mais par cela seul qu’elle prend le droit d’analyser toute chose et de porter son investigation sur la société tout entière et sur toute la nature, du même coup elle s’est proclamée souveraine, et tout ce qui ne pourra supporter son examen va se trouver frappé de mort. Du moment que la raison insurgée ne se reconnaît plus de maître, le charme est rompu à la fois de toutes les traditions. La pensée, esclave hier, est devenue libre ; peu importe que momentanément, elle seule soit libre ; cette liberté est déjà le levier qui soulèvera le vieux monde. La raison, par cela seul encore qu’elle est la raison, est l’auxiliaire nécessaire de la justice, de la tolérance et de l’humanité ; donc, rien qu’en montrant ce qu’il y a d’iniquité, d’oppression et de cruauté dans les institutions du passé, elle les condamne, les dépouille de leur prestige, les voue aux destructions immanentes. Elle proclame le droit pour les esprits de ne rien admettre que ce que peut accepter le libre examen ; le reste viendra par