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L’ENCYCLOPÉDIE.


Vous m’avez lâchement trompé deux ans de suite, écrit-il à Le Breton ; vous avez massacré ou fait massacrer par une bête brute le travail de vingt honnêtes gens qui vous ont consacré leur temps, leurs talents et leurs veilles gratuitement, par amour du bien et de la vérité, et sur le seul espoir de voir paraître leurs idées. C’est une atrocité dont il n’y a pas d’exemple depuis l’origine de la librairie. J’en ai perdu le boire, le manger et le sommeil ; j’en ai pleuré de rage en votre présence ; j’en ai pleuré de douleur chez moi… Et voilà donc ce qui résulte de vingt-cinq ans de travaux, de peines, de dépenses, de dangers, de mortifications de toute espèce ! un inepte, un ostrogoth détruit tout en un moment et il se trouve à la fin que le plus grand dommage que nous ayons souffert, que le mépris, la honte, le discrédit, la ruine, la risée nous viennent du principal propriétaire de la chose ! Quand on est sans énergie, sans vertu, sans courage, il faut se rendre justice, et laisser à d’autres les entreprises périlleuses. Votre femme n’eût jamais fait comme vous[1].


Mais Briassou, l’associé, et sans doute Mme Le Breton intervinrent ; Diderot reprit une dernière fois le collier, posant seulement comme condition qu’« il irait chez Le Breton sans l’apercevoir et que ledit libraire l’obligerait de ne pas l’apercevoir davantage ».

Les dix derniers volumes parurent en 1765, mais ne purent être distribués d’abord qu’en cachette et seulement aux personnes agréées par le lieutenant de police. Ils portaient, comme lieu de provenance, l’indication : Neufchâtel, et étaient censés venir de cette petite ville.

Voltaire a raconté, ou peut-être inventé, une jolie

  1. 12 novembre 1764.