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L’ENCYCLOPÉDIE.


tenant l’écurie de la Sorbonne[1] ». Et le « sublime, honnête et cher antéchrist » raisonnait fort bien, mais seulement comme philosophe ; Diderot, lui, agissait en politique. Tout volcanique qu’il fût, il savait ruser avec les événements et jouer avec les hommes ; il savait surtout qu’à donner sa démission, même avec un geste superbe de mépris, l’on ne fait les affaires que de ses ennemis. Il continua donc à lutter, négociant et bataillant à la fois, criant depuis le matin jusqu’au soir, las des tracasseries, mais toujours prêt à leur faire face, excitant les traînards, découvrant de nouvelles recrues, multipliant sa propre collaboration, faisant tout ensemble le métier de directeur, de rédacteur, de reviseur et de prote, se demandant plus d’une fois « s’il y a grande différence entre le philosophe et le joueur de flûte », mais toujours repris bien vite par l’action et se persuadant qu’il faut « travailler et être utile aux hommes ». Ses meilleurs articles sont de cette époque, la très belle série sur Leibniz, Platon, Pythagore et Spinoza, vingt autres tableaux détachés qui font de lui le véritable initiateur de l’histoire de la philosophie, les fragments politiques (notamment l’article Représentant) où il esquisse d’une main si ferme le plan d’un gouvernement parlementaire, les morceaux célèbres sur la Jouissance et les sensations. La cabale, d’autre part, est repartie en guerre avec une nouvelle violence ; elle multiplie les pamphlets et les

  1. Mémoires, 91.