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DIDEROT.


moment même où le pape Clément XIII lançait son bref d’excommunication, les presses de Le Breton avaient recommencé à marcher ; l’ouvrage entier, moins les onze volumes de planches qui ne furent complétés qu’en 1772, pourra être achevé en moins de six ans. Choiseul, en effet, s’il n’aimait pas les encyclopédistes, aimait encore moins les Jésuites et, s’il voulait bien donner au clergé des satisfactions apparentes, n’était point disposé à laisser le champ libre aux grenadiers de la foi. Sartine, d’ailleurs, et surtout Malesherbes n’avaient pas cessé d’être favorables à Diderot. Quand le conseil avait ordonné au directeur de la librairie de saisir tous les papiers de l’Encyclopédie, Malesherbes avait fait prévenir secrètement Diderot, et comme le philosophe avait observé qu’il ne pourrait pas les déménager en vingt-quatre heures chez des amis : « Envoyez-les tous chez moi, avait été la réponse, l’on ne viendra pas les y chercher ! » La bourrasque passée, la police fut invitée à fermer les yeux sur la reprise clandestine de l’entreprise, et l’impression put continuer comme si de rien n’était. Ce gouvernement de Louis XV était brutal et lâche, mais il n’était pas moins inconséquent ; l’habileté de Diderot consista précisément à escompter ses sautes de vent. « L’état d’homme de lettres étant à Paris immédiatement au-dessus de celui d’un bateleur », Voltaire avait jugé qu’« il vaut mieux bâtir un beau château, y jouer la comédie et y faire bonne chère que d’être levraudé à Paris par les gens tenant la cour du parlement et par les gens