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DIDEROT.


bonne ; la terreur du roi encore tremblant de l’attentat de Damiens, la versatilité de Choiseul, la trahison de Rousseau, le dégoût, pour ne pas dire la pusillanimité de d’Alembert, le découragement de Voltaire lui-même qui ne voyait d’autre parti à prendre que de transporter l’Encyclopédie à Genève. Il tint bon cependant et, restant seul à porter sur ses épaules, « comme Atlas et comme Hercule », le poids de ce monde nouveau qui était sa création, refusa de tourner le dos sur la brèche. C’est l’heure de beaucoup la plus honorable de sa vie. Abandonner l’ouvrage, c’est ruiner les libraires qui ont eu confiance en lui : il ne manquera pas à ses engagements ; c’est « faire ce que désirent les coquins » qui le persécutent : il ne leur donnera pas cette satisfaction. La belle humeur ne lui fait défaut à aucun moment de la tourmente ; il ne désespère pas une minute de reprendre le dessus. Tour à tour il plaide et négocie. Quand le Parlement, sur le réquisitoire d’Omer, condamne l’Encyclopédie, « non seulement sans aucun examen, mais sans en avoir lu une page », il se pourvoit devant le chancelier, exposant que ledit Parlement n’a le droit ni de réformer les privilèges accordés par le roi ni de nommer une commission pour décider si les sept volumes imprimés doivent ou non être brûlés sur place de Grève. Quand le chancelier de Lamoignon, sous la pression des Jésuites, révoque les lettres de privilège[1], « vu que l’avan-

  1. 8 mars 1759.