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L’ENCYCLOPÉDIE.


seul ; le 23 janvier, le procureur général Omer Joly de Fleury déférait à l’assemblée des chambres réunies au Palais la société encyclopédique, « formée pour soutenir le matérialisme, détruire la religion, inspirer l’indépendance et nourrir la corruption des mœurs ».

D’Alembert, qui avait prévu le coup, ne l’avait pas attendu. Dès le mois de janvier précédent, il avait fait part à Voltaire de sa résolution d’abandonner l’Encyclopédie.


Oui, sans doute, écrivait-il, l’Encyclopédie est devenue un ouvrage nécessaire et se perfectionne à mesure qu’elle avance ; mais il est devenu impossible de l’achever dans le maudit pays où nous sommes. Les brochures, les libelles, tout cela n’est rien ; mais croiriez-vous que tel de ces libelles a été imprimé par des ordres supérieurs dont M. de Malesherbes n’a pu empêcher l’exécution ? Croiriez-vous qu’une satire atroce contre nous, qui se trouve dans une feuille périodique, a été envoyée de Versailles à l’auteur avec ordre de l’imprimer, et qu’après avoir résisté tant qu’il a pu, jusqu’à s’exposer à perdre son gagne-pain, il a enfin imprimé cette satire en l’adoucissant de son mieux ? Ce qui en reste, après cet adoucissement fait par la discrétion du préteur, c’est que nous formons une secte qui a juré la ruine de toute société, de tout gouvernement et de toute morale. Cela est gaillard ; mais vous sentez que, si on imprime aujourd’hui de pareilles choses par ordre exprès de ceux qui ont l’autorité en main, ce n’est pas pour en rester là ; cela s’appelle amasser les fagots au septième volume pour nous jeter dans le feu au huitième… Mon avis est donc qu’il faut laisser là l’Encyclopédie et attendre un temps plus favorable (qui ne viendra peut-être jamais) pour la continuer.


Ainsi tout se réunissait, à la fois, pour accabler Diderot : l’assaut exaspéré de tous ses ennemis coalisés, Jésuites et évêques, Parlement et Sor-

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