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L’ENCYCLOPÉDIE.

Il n’y a pas d’exemple, dans l’histoire de la philosophie, d’une pareille trahison. Les conversions à l’esprit religieux s’expliquent et n’ont pas besoin d’être justifiées ; la foi entre dans les cœurs comme le doute dans les cerveaux. Ici rien de tel, rien que la jalousie et l’ingratitude. Rousseau ne devait à Diderot que la connaissance de son propre génie. Pendant sa captivité de Vincennes, c’était Diderot qui lui avait soufflé l’étincelante et paradoxale réponse à la question de l’académie de Dijon sur l’utilité des sciences. Non seulement il lui avait inspiré le fameux discours qui devait, du jour au lendemain, « porter tout par-dessus les nues » ; mais il l’avait revu, corrigé, semé de traits de flamme et d’éloquence ; depuis, pendant près de dix années, jamais la chaude amitié de Diderot n’avait été plus inépuisablement bienfaisante que pour Jean-Jacques. Et maintenant, au fort de la mêlée et du péril, alors que la coalition des Jésuites, des Parlements et de Fréron fait rage contre l’Encyclopédie, au lendemain de l’horrible déclaration royale de 1757 qui, vengeant sur les philosophes la piqûre d’épingle de Damiens, porte à chaque ligne la peine de mort contre les auteurs, éditeurs ou colporteurs d’écrits attentatoires à la religion, quand tous les tocsins sonnent à la fois, c’est ce moment précis que choisit Rousseau pour lancer, en réponse à l’article Genève, sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles.

Que Diderot, dans la querelle de Mme d’Épinay et de Jean-Jacques, ait pris trop vivement, comme