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L’ENCYCLOPÉDIE.


libre[1]. » Mais, dans l’article Liberté, il déclarera, sans broncher, que « la pensée et la volonté ne sont ni ne peuvent être des qualités de la matière ; que prétendre, avec Spinoza (et avec lui-même), qu’il n’y a aucun motif qui dépend de nous, soit eu égard à sa production, soit eu égard à son énergie, c’est avancer une absurdité ; que la liberté brille dans tout son jour, soit qu’on la considère dans son esprit, soit qu’on l’examine par rapport à l’empire qu’elle exerce sur les corps ; et qu’enfin la ruine de la liberté renversant avec elle tout ordre et toute police, confondant le vice et la vertu, autorisant toute infamie monstrueuse, éteignant toute pudeur et tout remords, dégradant et défigurant sans ressource tout le genre humain, une doctrine si énorme ne doit point être examinée dans l’école, mais punie par le magistrat ». Et la honte assurément de ces crimes contre l’esprit retombe sur le régime qui les impose ; mais quelle misère pourtant et quelle pitié ! Il y a plusieurs façons de souffrir pour sa cause ; la plus courageuse, quoi qu’on pense, n’est pas toujours dans l’intransigeance des doctrines.

On ne saurait dire, puisque l’Encyclopédie a pu s’achever, que tant de sacrifices ont été inutiles. Ils faillirent l’être cependant et les heures où les philosophes purent croire qu’ils avaient renié leurs propres croyances en pure perte leur furent doublement

  1. Lettre à Landois, 26 juin 1756. — Tout le traité de Schopenhauer sur le libre arbitre tient dans ces lignes.