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L’ENCYCLOPÉDIE.


sait précéder de cette musique ; les vieux murs de Jéricho tremblèrent sur leurs bases.

Regardons cette armée qui se forme dans le silence pendant près de trois années et dont la marche à travers un quart de siècle n’a pas fini d’éveiller les échos.

Au premier rang, les deux co-directeurs, Diderot et d’Alembert ; celui-ci, faible et maladif, sceptique et prudent, géomètre n’ayant eu encore d’autres maîtresses que les mathématiques, penseur n’ayant encore appliqué l’ingéniosité de son esprit délicat et subtil qu’à la science pure, mais subissant déjà l’impulsion violente du siècle et, par amour du vrai plus que par goût, retournant peu à peu son activité vers la philosophie et les polémiques ; celui-là, au contraire, robuste et fort, d’un enthousiasme inextinguible et toujours prêt à la bataille, ayant connu tout de la vie de très bonne heure et ne s’étant dégoûté de rien, d’une curiosité insatiable et d’une force de labeur que rien ne lasse, ayant pour domaine la nature et comme elle toujours en travail de conception et d’enfantement, passant avec la même facilité « des hauteurs de la métaphysique au métier d’un tisserand[1] » et de l’anatomie au théâtre, dressant sur son col nu « cette tête universelle qu’on regardera de loin comme nous considérons aujourd’hui la tête des Platon et des Aristote[2] ». Voilà les

  1. Voltaire à Thiriot. Corr., 19 novembre 1760.
  2. Rousseau, Confessions, livre VI. 1