Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
DIDEROT.


qu’il possédait depuis longtemps ». Diderot eut tout de suite l’intuition de quelque chose de plus grand, « d’un livre où seraient tous les livres », d’un cadre immense qui réunirait « le tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles », d’un monument que sa masse même mettrait à l’abri des révolutions, d’un sanctuaire qui assurerait à la postérité et « à l’être qui ne meurt point » le dépôt du savoir de l’homme depuis l’origine de la civilisation.

Assurément, et dès la Renaissance, de Bacon à Leibniz, plus d’une tentative avait eu lieu pour réduire sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne l’ensemble des connaissances humaines. Mais le grand chancelier « avait jeté le plan d’un dictionnaire universel des sciences et des arts en un temps où il n’y avait, pour ainsi dire, ni sciences ni arts », et les essais de ses successeurs avaient été également prématurés. « Quel progrès n’a-t-on pas fait depuis ? Combien de vérités découvertes aujourd’hui qu’on n’entrevoyait pas alors ? La vraie philosophie était au berceau ; la géométrie de l’infini n’était pas encore ; la physique expérimentale se montrait à peine ; il n’y avait point de dialectique ; les lois de la saine critique étaient entièrement ignorées. L’esprit de recherche et d’émulation n’animait pas les savants : un autre esprit, moins fécond peut-être, mais plus rare, celui de justesse et de méthode, ne s’était point soumis les différentes parties de la littérature ; et les académies, dont les travaux