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DENIS DIDEROT.


Décidément, cette lyre vibre trop et à propos de trop d’objets indifférents. Il admire trop, il pleure trop, il se pâme trop. Pascal veut que le froid soit bon pour se chauffer. Diderot manque de courants d’air. Le lyrisme, dit-on, ne comporte pas de nuances, ou il n’en comporte guère ; mais tout n’est pas sujet à lyrisme. À admirer avec les mêmes gestes Virgile et Richardson, les Vierges de Raphaël et les petites filles de Greuze, on finit par déprécier tout éloge. Rien de plus doux qu’une chaude amitié ; mais l’émotion continuelle agace. Quand Diderot se jette en pleurant dans les bras de Grimm, après une absence de quinze jours, et sanglote tout le long du dîner : « Mon ami, ah ! mon ami ! » il fait regretter le « monsieur » des hôtes sévères de Port-Royal. La vertu, tout comme le lyrisme, a ses heures. « Ah ! ma Sophie ! qu’il est doux d’ouvrir ses bras quand c’est pour y recevoir et pour y serrer un homme de bien ! » cela est pis qu’une sottise.

Ce n’est donc pas seulement l’ordre et la méthode qui lui ont fait défaut, c’est quelque chose de plus essentiel : le goût. Et, sans doute, s’il en avait eu l’instinct, il n’aurait pas eu, en même temps, parce que l’un exclut l’autre, ce tempérament et cette force révolutionnaires qui le poussèrent, avec une victorieuse impétuosité, contre tant de vieilles lois et de philosophies surannées, de lâchetés et d’hypocrisies sociales, contre les dieux et contre les rois. Il faut opter ou, plutôt, comme c’est la nature