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DENIS DIDEROT.


éclatant, mais, aussi, de plus rapide et de plus soudain. L’œil a vraiment la sensation de l’éclair qui passe. Diderot discute à son habitude, tantôt, avec un air de paradoxe, suivant l’ornière des lieux communs, tantôt, sous des dehors orthodoxes, vraiment hardi et novateur. Tout à coup, au milieu d’un développement, le génie qui le guette le prend aux cheveux et l’enlève ; des sphères inattendues où il est monté d’un seul bond, il aperçoit alors, le premier, dans l’âme ou dans la nature, dans la science ou dans l’art, des vérités insoupçonnées jusqu’à lui ou seulement entrevues dans le brouillard. Lui fixe sur elles son œil clair, journaliste devenu prophète, s’illumine à l’éblouissement vainqueur de leur flamme et, dans la fièvre de son rêve, d’un trait puissant et désormais ineffaçable, marque sur la carte des connaissances humaines la terre qu’il vient de découvrir, mais qu’il lui suffit d’avoir saluée de loin et où il n’abordera pas. C’est le précurseur. Il se contente d’avoir signalé à l’horizon les Amériques nouvelles. Il en abandonne la conquête aux Cortès et aux Pizarre de la pensée qui lui succéderont et qui s’appelleront Lamarck ou Lessing, Spencer ou Auguste Comte, Claude Bernard ou Darwin.

Voilà, chez Diderot, le coup d’aile du génie, les heures « où il n’est pas possible d’être plus profond et plus fou », et il en parle lui-même avec une espèce de crainte : « Qu’est-ce que l’inspiration ? L’art de lever un pan du voile et de montrer aux hommes un coin ignoré ou plutôt oublié du monde