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DENIS DIDEROT.


Entrez seulement avec un beau problème ou quelque controverse brûlante : il quittera aussitôt le travail le plus pressé, et la maison tout entière retentira bientôt du fracas de ses discours. S’il a « la tête tout à fait du caractère d’un ancien orateur », il a aussi cette disposition naturelle à l’improvisateur, la parole qui éveille la pensée et qui l’excite. Il part tout d’un trait, prend des gestes de tribune ; ses yeux, habituellement paisibles et doux, « étincellent de feu », et Grétry déclare que son premier élan est d’inspiration divine. « Disparue sa timidité de bon garçon, » il est tout entier à son démon ; une fois lancé, bien agile qui le rattraperait ; de théorie en théorie, de paradoxe en paradoxe, il irait jusqu’au soir, jusqu’au lendemain matin : « Si je voulais suivre mes idées, on aurait plutôt fini le tour du monde à cloche-pied que je n’en aurais vu le bout ; cependant le monde a environ neuf mille lieues de tour. » Il étourdit et « ahurit », mais vous sortirez toujours de chez lui avec la tête meublée de visions nouvelles et marquée de sa griffe. On reconnaît toujours si Diderot a passé là. Sa vocation est de semer : pourvu que le grain germe, peu lui importe que ce soit dans son terrain ou dans le champ du voisin. On exploite avec le même sans-gêne sa bourse et son cerveau, et il en est ravi. « Monsieur Diderot, savez-vous l’histoire naturelle ? — Mais un peu ; je distingue un aloès d’une laitue et un pigeon d’un colibri. — Savez-vous l’histoire du formica-leo ? — Non. — C’est un