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DIDEROT.


relire l’un de ses auteurs favoris, de faire visite à deux ou trois artistes et de leur donner, en s’instruisant, d’utiles conseils, de se renseigner auprès d’autant d’artisans sur la pratique de leur métier, de suivre, au Jardin des Plantes, un cours de physique ou de chimie, d’aller chez Procope, d’y jouer et d’y perdre, de dîner en joyeuse compagnie, d’y prendre une indigestion et d’abandonner aux amis qui le reconduisent, ivre de rhétorique et du bonheur de se dépenser, vingt canevas de drames, de romans ou de systèmes. Au coin de la rue de Taranne, au cinquième étage, le premier en descendant du ciel, ce clair grenier tapissé de livres — « les chers outils » qu’il voulut vendre pour doter sa fille et que l’Impératrice de Russie lui acheta, à condition qu’il les gardât sa vie durant, conservateur appointé de sa propre bibliothèque, — c’est, par définition, dans le Paris le plus intellectuel qui fut jamais, le bazar aux idées. Diderot s’y est réfugié dès l’aube pour échapper aux criailleries de sa femme, cette Nanette, belle comme un ange avant le mariage, aujourd’hui pie-grièche et harengère, qui ne s’intéresse à rien de ce qu’il fait, s’enlize dans la dévotion et ne peut garder une servante plus de huit jours. Drapé dans sa robe de chambre comme dans une toge, le col nu, les cheveux au vent, « le dos bon et rond », le philosophe écrit pour les libraires ou pour son plaisir, corrige des épreuves, revoit des planches, mais la porte de l’atelier est ouverte à toute heure ; quiconque veut renouveler son bagage cérébral n’a qu’à monter.