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DENIS DIDEROT.


divertissant et de plus varié. Cherchez maintenant, dans celle de Diderot, les épisodes émouvants ou les anecdotes. Il a passé quelques semaines au donjon de Vincennes, beaucoup moins pour avoir nié l’existence de Dieu que pour avoir manqué de respect à l’amie d’un personnage influent : quel est l’écrivain du siècle qui n’a pas fait, pour des causes plus frivoles, un plus long séjour dans une auberge d’État ? Les lettres de privilège ont été retirées à ses libraires et ses manuscrits ont été saisis : ces sortes de vexations, d’ailleurs passagères, étaient devenues, sous le bienheureux règne de Louis XV, tout ce qu’il y avait au monde de plus banal ; qui s’arrêtait encore pour un imprimeur embastillé ou pour un colporteur attaché au carcan ? — Enfin, entre deux voyages en Champagne et jusqu’à Saint-Pétersbourg, il a eu deux maîtresses, dont la plus âgée lui a appris la volupté, et dont la plus jeune, qu’il aima, avait « la menotte sèche » et portait des lunettes. Et puis, c’est tout : son histoire, c’est celle de l’Encyclopédie, celle de ses livres.

Ce qu’il faudrait pouvoir retracer, c’est une journée de Diderot, au lendemain d’une halte dans l’oasis du Grandval ou à la Chevrette, une de ces journées pleines comme la semaine d’un bon ouvrier, où ce bûcheron, qui vient d’abattre en se jouant deux ou trois articles pour l’Encyclopédie, trouve encore le temps de recevoir un monde de quémandeurs, d’écrire un volume de lettres, de débiter on ne sait combien de harangues, de lire tout ce qui paraît et de