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DENIS DIDEROT.


troupeau étant riche, bien élevé, instruit, poli et comme la fleur du genre humain, c’est pour lui que les plus grands hommes ont travaillé ». Diderot fait exception ; son ambition n’a été à aucun moment de régner sur le cercle des belles dames et des seigneurs à la mode. Il se plaît au Grandval, parce qu’il y mange fort et bien, qu’on y respire l’air frais de la campagne et que la conversation y est aussi libre qu’au cabaret. Mais il ne recherche pas plus les suffrages de « Mécène-d’Holbach » que ceux de « Célimène-d’Épinay » ; le désir de plaire à deux beaux yeux ne lui a jamais dicté une ligne. Il étudie pour le seul plaisir d’apprendre, écrit pour le seul plaisir d’écrire. Aucune vanité littéraire : c’est contraint par Voltaire qu’il se présente à l’Académie, et quand le roi refuse d’approuver son élection, sous prétexte « qu’il a trop d’ennemis », une épigramme l’a vite consolé. L’orgueil ronge l’auteur du Contrat social et l’amour de la renommée dévore le poète de la Henriade : Diderot s’en remet à la postérité du soin « d’être juste à son égard » ; encore, dans le flot de déclamations qui l’emporte, lors de sa fameuse dispute avec Falconet, n’est-il pas bien certain qu’il ne se soit un peu calomnié, quand il prétend ne pas croire « aux hommes qui se suffisent pleinement à eux-mêmes ».

Sur la question « si la vue de la postérité fait entreprendre les plus belles actions ou produire les meilleurs ouvrages », si Diderot a adopté l’affirmative, c’est peut-être seulement, comme en d’autres contro-