Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
DIDEROT.


une larme que sa main aurait essuyée ou que ses lèvres auraient recueillie. » (1er novembre 1759.) Il aurait voulu passer sa vie entière auprès d’elle, et son rêve était devenu une réalité sous sa plume : « Nous nous séparerons pour brûler de nous rejoindre ; nous nous promènerons au loin, jusqu’à ce que nous ayons trouvé un endroit dérobé où personne ne nous aperçoive. Là, nous nous dirons que nous nous aimons, et nous nous aimerons… Nous passerons un siècle entier sans que notre attente en soit jamais trompée ! » (21 juillet 1765.) Et comme ses amis s’étaient étonnés de cet amour, aussi jeune après dix ans qu’au premier jour : « Tenez, Falconet, je pourrais voir ma maison tomber sans en être ému, ma liberté menacée, ma vie compromise, toutes sortes de malheurs s’avancer sur moi, sans me plaindre pourvu qu’elle me restât. Entre ses bras, ce n’est pas mon bonheur, c’est le sien que j’ai cherché. Je ne lui ai jamais causé la moindre peine et j’aimerais mieux mourir, je crois, que de lui faire verser une larme. J’en suis si chéri, et la chaîne qui nous enlace est si étroitement commise avec le fil délié de sa vie que je ne conçois pas qu’on puisse secouer l’un sans risquer de rompre l’autre »

Maintenant, le fil est rompu ; il ne lui reste plus qu’à mourir. « Il ne se consola, écrit sa fille, que par la pensée qu’il ne lui survivrait pas longtemps. »

Il mourut comme il avait vécu, en philosophe, et sa fin ne fut ternie d’aucun sarcasme ni d’aucune