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DIDEROT.


nirs d’hier dans l’attente des caresses de demain. Pour peu qu’une lettre d’elle fût en retard, une fièvre le prenait. Il avait été « fou à lier de sa fille », il « périrait de douleur s’il la perdait » ; mais si, revenant de la Chevrette, il apprend qu’elle est malade, il jette en passant son sac à sa porte, et, sans embrasser l’enfant, vole d’abord au quai des Miramiones chercher la lettre de Sophie. Elle s’était donnée à lui, librement, sans phrases, sans grande passion peut-être, simplement parce qu’elle ne se reconnaissait pas le droit de faire souffrir qui ne vivait que pour elle, et il avait trouvé l’infini du bonheur en elle, parce qu’il l’aimait, lui, absolument, en homme qui avait connu les épreuves et pourtant, à quarante ans passés, était resté jeune de corps comme d’esprit. Mais le sentiment qui avait dominé en lui, ç’avait été l’amour de son estime, et ce respect avait été la force de sa vie. « J’ai élevé dans mon cœur une statue que je ne voudrais jamais briser ; quelle douleur pour elle si je me rendais coupable d’une action qui m’avilît à ses yeux ! » Il l’entretenait dans ses lettres de toutes choses et parfois même avec quelque crudité qui nous choque, mais qui n’étonnait aucune femme du xviiie siècle. Mais c’était pour elle aussi que sa phrase était devenue la plus caressante et la plus douce ; les paysages, par exemple, qu’il lui avait décrits de Langres ou du Grandval ne le cèdent en rien aux pages les plus délicieuses de Rousseau : « Je les ai revus ces coteaux où je suis