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PHILOSOPHIE.


s’était donné pour la vie et il l’avait aimée de la même tendresse passionnée jusqu’à la fin. « Il y a quatre ans que vous me parûtes belle (11 septembre 1759) ; aujourd’hui, je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare des vertus. Avec vous, je sens, j’aime, j’écoute, je regarde, je caresse, j’ai une sorte d’existence que je préfère à toute autre. » Six ans après, toujours la même lettre, éternellement la même et toujours nouvelle : « J’aurai le plaisir de passer toute la journée avec celle que j’aime, ce qui n’est pas surprenant, car qui ne l’aimerait pas ? mais que j’aime, après huit ou neuf ans, avec la même passion qu’elle m’inspira le premier jour que je la vis. Nous étions seuls, ce jour-là, tous deux appuyés sur la petite table verte. Je me souviens de ce que je vous disais, de ce que vous me répondîtes. Oh ! l’heureux temps que celui de la table verte ! » (20 mai 1765.) Et deux ans après : « Je vous embrasse de toute mon âme, comme il y a douze ans. Toujours mon amie, toujours. » (24 août 1768.) Et encore de la Haye, le 3 septembre 1774 : « Je reparaîtrai bientôt sur votre horizon, et pour ne plus le quitter. » Pendant quinze ans, dès qu’elle s’absente de Paris ou qu’il s’éloigne, il lui écrit deux ou trois fois par semaine de longues lettres où il raconte les moindres incidents de sa vie, polémiques littéraires et disputes philosophiques, lui soumet ses projets, la consulte sur ses travaux, la proclame sa conscience et s’enivre des souve-

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